The Escape ◄Cassiopée

Impossible. Impossible de se concentrer. Elle s'acharnait depuis 25 minutes à surmonter l'impossible. En plus pour de la chimie. De temps en temps, Heaven se demandait si elle était maso. Sa vie était impossible. Les autres étaient impossibles. Ce don était impossible. Ce mot perdit sa substance, chaque jour un peu plus. Il était tellement utilisé qu'il en perdait son sens. Si elle ne s'était pas encore suicidée, c'est tout simplement parce que ça restait totalement hors de ses pensées. Faudrait-il que dans son crâne, il y ait déjà de la place pour ses propres pensées.

Elle se pencha à nouveau sur le protocole. Mais lire n'était même pas imaginable. Son oeil lui disait qu'il s'agissait d'un 450, quand deux dizaines de voix lui donnaient les quantités d'autres solutions. Elle soupira, et laissa aller son dos contre le dossier, ses longues mèches colorées retombant vers l'arrière dans un mouvement fluide. Si encore ils avaient fait ces TPs en duo, qu'elle puisse se reposer sur son partenaire. Non, même pas, cet imbécile les laissait faire seuls.

Une dispute éclata dans le fond de la salle, et elle se retrouva assaillie, une nouvelle fois. En plus par de la haine, génial. La tête entre les mains, elle tenta de ne pas sombrer, avant de se se lever précipitamment de sa chaise. Même pas besoin de lever la main, le prof la laissa sortir, interpellant un autre élève.

"Miss Andarta, je vous demanderais de bien vouloir accompagner votre camarade à l'infirmerie, elle..."

À vrai dire, après le nom de la fille, Heaven n'avait plus rien entendu. Juste perçu, mais emmagasiné avec les autres pensées, elle ne l'avait pas vue passer.

Un TP. Génial. Ou pas. La chimie, c'est pas pour moi. Enfin, sauf quand il y a un binome, mais pas là. Fichu don qui sert à rien. Savoir les trucs chimiques aurait été une meilleur idée. De toute manière, ça fait des années que je suis perdue dans cette matière. Enfin, si on peut encore dire ça. Je ferme les yeux, et finis par m'endormir.

La salle est emplie de pingouins. Ils s'entrent-bouscule, donnent des coups à qui mieux-mieux.
-Mais calmez-vous, bande de pingouins ! je m'égosille.
Un pingouin hurle qu'il n'en est pas un. Je me vois dans l'obligation de hocher la tête pour lui signifier que si, c'en est bien un.


Une voix me tire de ma rêverie ;
-Miss Andarta, je vous demanderais de bien vouloir accompagner votre camarade à l'infirmerie, elle...
Ma première pensée ? 'Putain, un pingouin qui parle'. Si, si, je vous jure. Je viens de me réveiller, en même temps...
-Euh, ouais, je marmonne en me levant.
Je sors de la salle et jette un regard à l'élève que je dois accompagner. Non, son visage me dit rien.
-Qu'est c'que t'as ? je lui demande.

Enfin seule. Sortie du bâtiment, la goth eu l'impression de réapprendre à respirer. Un bonheur, vraiment. Dans son cas, avoir des voix dans la tête était à prendre dans tous les sens du terme -elle n'était pas très claire, comme fille- et là, lesdites voix s'éloignaient de son cerveau fumeux. Enfin, façon de parler, étant donné que c'était elle qui partait.

En entendant une voix se rapprocher, qui en plus racontait des histoires de pingouins un peu... Étranges, mais de toute façon tout était bizarre, elle comprise, elle se demanda si il existait quand même un quelconque Dieu, dans le genre chieur, qui passerait son temps à pourrir la vie des gens. Ou la sienne. Ou alors elle était un gens. Grande nouvelle.

-J'ai un don de merde, et bien trop puissant pour moi. Impossible de s'entendre penser en cours.

Waw. Elle avait réussi à articuler deux phrases d'affilée. Et sensées. Et qui soient dans la continuité l'une de l'autre. Un petit miracle. En bonne logique, elle qui n'aimait pas la présence humaine, s'arrêta pour laisser Andarta -vu qu'elle ne connaissait toujours pas son nom- se rapprocher. C'est que ça commençait à l'intéresser, cette histoire pingouins.

J'ai un sourire. Donc elle est télépathe. Donc elle entend les pensées des autres. Donc elle entend aussi celles qui sont déplacées et... Ta gueule, Cass', elle t'entend. Rah, putain ! Ca me stresse. Tu connais la sensation de te dire que tes pensées t'appartiennent pas ? Bah là, c'est vrai. En gros, tu peux pas fantasmer tranqui.. Hrrm. A y est que je me vois obligée de censurer mes pensées. C'est du beau.

-Je vois.

Je suis bavarde, je sais. J'ajoute avec une pointe d'ironie ;

-Le pire, c'est qu'en plus d'être gênant pour toi, ça l'est pour les autres. Enfin, a partir du moment où ils le savent.

Bon, maintenant, Cassio', tu concentres tes pensées sur... Sur quelque chose qui pourrait te faire passer pour autre chose qu'une conne. Merde. Une conne schizophrène, maintenant.

Elle eut un sourire. Pas un vrai, elle n'avait jamais su sourire. Mais elle n'y pouvait rien, la réaction de la jeune fille l'amusait. Du coup, du peu qu'elle captait, mélangé aux pensées des autres, elle ne tirait que des bribes de phrases, qu'elle ne finissait d'ailleurs pas... Seul restait une impression de choc. Elle devait le reconnaître, sa réaction était plutôt amusante.

June qui reconnaissait quelque chose en tant qu'amusant. Wow. Exploit.

Ces fichus dons sont dans tous les cas gênants, lâcha-t-elle, avant d'avancer de quelques pas.

D'ailleurs. Quel est ton prénom ?

Parce qu'elle se voyait mal l'appeler Andarta. Si elle avait un jour besoin de l'appeler. Non, en fait, ça l'arrangeait tellement de pouvoir coller un nom à ses voix. C'était un peu plus facile ensuite.

Elle a un sourire étrange. Un peu... Bancal ?

-Ces fichus dons sont dans tous les cas gênants, lâche-t-elle, avant d'avancer de quelques pas. D'ailleurs. Quel est ton prénom ?

J'ai une soudaine envie de lui répondre Germaine. Ou Bérengère, juste pou....

-Cassiopée.

...r voir. Mais elle, elle m'entend. P'tain. Je suis pas sortie de l'auberge, hein.

-Et le tien ? je lui demande.

'Faudrait peut être avancer... Non ? Parce que jusqu'à l'infirmerie, y a quelques pas, hein.

Il y a comme un mix dans son cerveau. Maintenant qu'elles sont plus ou moins seules, elle l'entend mieux. Bérengère ? Euh, peu commun... Alors qu'elle essaye de brouiller les pistes, elle lâche son prénom sans même s'en rendre compte, si bien qu'Heaven le perçoit avant de l'entendre.

Heaven. Bien accordé à cet endroit, comme prénom.

Oh. Aujourd'hui, Heaven a découvert le cynisme. C'est bien, continue comme ça. Elle ne s'en rend même pas compte, et quand elle le dit, son ton et son expression n'ont rien d'amer. Poursuivant sa route, elle ne la regarde pas lorsqu'elle répond, par habitude, à ses pensées.

Je ne comptais pas aller à l'infirmerie.

-Heaven. Bien accordé à cet endroit, comme prénom.

J'ai un sourire sarcastique. Sur que c'est bien accordé, hein.

-Je ne comptais pas aller à l'infirmerie.

Je lui ai pas parlé de l'inf... Ah oui, c'est vrai. C'est assez déstabilisant, son truc.

-Tout comme tu ne comptais pas être accompagnée par moi, je réponds en haussant les épaules avec nonchalance.

Ouais. J'ai pas pu m'empêcher de le faire remarquer. J'y pense. Elle peut répondre par la pensée, aussi ? Enfin, je suppose que si elle peut, elle le fera, dans ma tête.

Pas forcément.

Ou pas du tout, en fait. Heaven en pleine démonstration de son asociabilité, ou plutôt en pleine démonstration de son manque de contact dans la vie. Et de tact, par la même occasion. Bref, Heaven ou comment se faire passer pour la pétasse de service :

Mais ta présence ne me gêne pas, contrairement à ce que tu penses.

Allez, enfonçons-nous encore un peu plus :

Enfin, je veux dire, tant qu'il n'y a pas trop de monde, je ne risque pas de perdre le contrôle comme...

Comme à la réunion de début d'année. Mais c'était trop dur à dire, ça. En tout cas, elle avait malgré elle réussit à faire passer le message 'Pas que tu comptes pour moi en tant que personne, hein, plus en tant qu'individu pensant'. Se concentrant sur les dernières pensées de Cassiopée, elle essaya. Pourquoi pas ? "C'est..."

Dur.

Sans s'en rendre compte, elle avait mélangé mental et parole.

-Ouais, je lâche.

J'ai rien à dire d'autre, merci. Enfin. Elle fait et dit ce qu'elle veut, hein, la miss Paradis. Désolée, j'ai pas pu m'en empêcher, je dis mentalement. Dans mon esprit, un "C'est" s'insinue. Avec la voix d'Heaven.

-Dur, complète-t-elle oralement.

J'hausse un sourcil consterné. Si dur que ça ? N'empêche, ça fait bizarre d'entendre quelqu'un parler dans ta tête. Enfin, pas plus que de te dire qu'en fait, elle entend tout ce que tu penses... Je me mets à avancer de quelques pas avant d'arrêter.

-Tu veux aller où ?

Elle lâche un pauvre sourire. Son histoire avait été aussi pourrie que pour la majorité des enlevés et ramenés ici, merci. Il fallait vraiment qu'elle apprenne à contrôler ce don. Mais le contrôler revenait à l'accepter. Et ça, non.

Dur de se concentrer. Là ça va, on est seules. Je suis incapable de parler dans une assemblée.

Sans même y prêter attention, elle avait répondu à sa question informulée. Confuse, elle s'excusa. C'était gênant, elle en avait conscience.

Comme tu veux. Je comptais juste m'éloigner de l'agitation... Sinon, choisit. Personellement je m'en fiche.

Son regard s'égara. Personne de la sécurité à ce moment de la journée.

Ou on peut faire une petite virée dehors, histoire de sécher ce cours proprement...

Spoiler:

J'avoue que ça ne se fait pas, mais je ne l'écoute pas. Ouais. Je pense. Enfin, elle doit le savoir, mais j'ai l'impression qu'elle s'en fout, puisqu'elle continue de parler. D'ailleurs, les mots qui retiennent mon attention sont ceux-ci ;

-Ou on peut faire une petite virée dehors, histoire de sécher ce cours proprement...

Bon, je ne sais pas ce qu'est la première proposition, mais celle-ci me va. Je me tourne vers elle avec un léger sourire ;

-Ca me va.

Spoiler:

Elle sent les pensées de Cassiopée vagabonder sans même chercher à l'écouter vraiment. Mais pour une fois qu'elle peut aligner plus de deux phrases sans finir par s'écrouler, la tête dans les mains, elle profite. Y a pas de raison. En y repensant, c'est l'une de ses rares réelles discussions depuis quelques années. Depuis que son don a commencer à se développer. On voit à quel point elle en est tombée bas, Alors lorsque Cassiopée lui adressa un sourire, un simple sourire, elle en fut... Pas vraiment choquée, mais seulement, ça aussi, c'était la première fois depuis longtemps. Enfin, sauf pour une personne.

Sans plus attendre, elle l'entraîner vers le portail.

Spoiler: